C’était un minuscule village, dans une vallée où rien ne poussait, où aucune pousse ne germait, ni arbre, ni plante, seules roches et pierres, même la grande rivière était sèche, rien que glace et montagne.
Dans ce village une fille s’appelait Ragne, elle était rousse, avait la peau bleue, elle rendait ses parents heureux. Un jour, Ragne apprit que, loin derrière les montagnes, une vaste forêt s’étendait au delà des vallées, préservée des dangers. Seules des étoiles y brillaient, des animaux y vivaient, sages et sauvages. Alors, dans sa veille galère, elle alla chercher son chapeau vert, son grand filet et sa lampe qui, tout le temps, brillait. Elle chaussa de grands bâtons, dont elle ne connaissait pas le nom, mais qui lui permettrait de traverser collines et mers. A minuit, elle partit grâce à ses grandes échasses, elle courait, sautait, riait, et bientôt le grand feu de son village devint une minuscule tâche entourée d’un halo pâle, si ridicule parmi les pics et les sommets vertigineux. Elle riait tellement fort que l’on put l’entendre jusqu’à l’autre pôle. Mais quand ses rires s’estompèrent et que ses paupières tombèrent, elle dût trouver un abri. Ici, sur ce désert rocheux, ou là dans cette grotte sombre ? Soudain, elle aperçut une ombre, elle fit un pas, et déjà, cette ombre se transforma en village. Elle sauta sur un toit, et laissa ses échasses à la nuit noire. C’était un village abandonné, les villageois avaient dû partir, ou bien étaient-ils mort de faim car ils n’avaient plus rien. Aucun cadavre n’était visible. Elle décida qu’elle dormirait là. Elle choisit une maison, sobre mais confortable. Elle s’installa dans un coin, tentant de trouver un ultime vent chaud, puis elle s’assoupit.
Cette nuit là, elle eut un rêve étrange, elle vit un renard et un corbeau, le corbeau tenait dans son bec un fromage, le renard qui souhaitait déguster ce mets délicieux, flatta le corbeau.. Celui-ci, dupe, voulut lui répondre, mais en ouvrant la bouche, il laissa le fromage dégringoler de son perchoir. Le renard s’en saisit, fier de son stratagème, et le corbeau, se rendant compte de son erreur, honteux d’être tombé dans un piège aussi grossier, jura, mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus… comme le dit la fable. Elle ne savait guère la raison pour laquelle elle s’était remémorée cette fable qui lui plaisait tant, mais c’était un rêve, et les rêves n’ont souvent aucun sens. Elle se réveilla au matin, bien que le jour s’était à peine levé et que l’humide froid matinal la faisait grelotter. Elle était débordante d’énergie, le décor était souvent le même, certes, mais explorer des nouveaux horizons était très palpitant. Elle reprit toutes ses affaires, et partit d’un pas vif et vigoureux. Le chemin menant au village commençait à s’estomper quand soudain elle eut une réponse à la question qui la tracassait depuis le petit matin : « N’aurais-je donc pas oublié quelque chose ? Pourtant j’ai toutes mes affaires…Peut-être devrais-je fouiller le village, car… Mais non, cela prendrait trop de temps, j’en ai déjà perdu assez en cherchant à remplir ta gourde ! Pourtant, si j’oublie quelque chose… Tu n’as rien oublié ! En plus si c’était important je m’en serais rappelé. » Cette dernière pensée avait clos ses réflexions. Elle marcha durant toute la matinée et une partie de l’après-midi. C’est alors qu’elle fut submergée par le regret d’avoir quitté le village de manière si insouciante. Elle allait encore perdre du temps précieux mais elle décida de revenir sur ses pas. Dans sa course, elle réalisa enfin qu’il lui manquait ses précieuses échasses !
Ragne se mit à courir le plus vite possible mais si les échasses avaient été volées, sa recherche serait vaine. Il ne fallait pas penser à cela, mais c’était pourtant une possibilité. C’est épuisée, le soir venu, qu’elle arriva au village, exténuée, elle devait récupérer cet objet, et vite. « La nuit est très dangereuse, Ragne, car pendant la nuit des pillards rôdent, et si ils t’attrapent alors que tu ne dors pas, ils te dévoreront ! » C’était ce que leur mamie disait chaque soir pour les endormir, non pas pour les rassurer, mais pour les inciter à dormir. Bien que cette méthode était cruelle – car les enfants du villages faisaient chaque nuit des cauchemars – elle était efficace. Cependant, les pillards existaient réellement et il valait mieux ne pas les croiser, que se soit réveillée ou endormie. Ceux-ci s’en prenaient généralement aux villages ou aux campements. Tous étaient nomades, bien que certains groupes avaient un poste, ou bien un quartier général, il fallait qu’ils se déplacent pour trouver de nouvelles choses à piller. C’est pour cette raison que Ragne souhaitait dormir la nuit. Cependant, elle avait aussi pensé à leurs expéditions, elle avait donc choisi tout naturellement un village déjà abandonné qui donc avait déjà dû être pillé au vue des dégâts.
Pendant la nuit, le village était lugubre, Ragne avançait lentement parmi les débris et le chemin boueux. Elle essayait de se remémorer l’endroit où elle avait lâché ses échasses. Elle n’avait qu’une envie, se cacher et dormir au chaud dans son village, mais elle devait les retrouver, sinon, elle aurait de grandes chances de mourir. Elle fit le tour d’une petite maison ronde, sûrement la chaumière où l’on entretenait le feu, quand elle entendit des voix. Son cœur s’arrêta un instant, le village était vide le matin même, donc les personnes qui discutaient étaient arrivées après son départ, ils n’étaient pas arrivés non plus lors de son retour, ce qui signifiait qu’ils étaient arrivés lors de sa recherche. Elle se souvint alors que ces mystérieuses personnes ne sont pas obligatoirement des pillards, qu’ils pouvaient être des simples voyageurs – cela était pourtant peu probable car elle n’en avait jamais vus -, ou bien ces marchands qui se déplacent de villages en villages pour vendre des produits qu’ils ont échangés quelques temps avant. Elle décida de s’avancer lentement vers eux. Il n’y avait que des hommes, ou bien tout le laissait penser. Elle se cacha derrière une maison plus ou moins intacte, et observa. Ils avaient allumé un feu de camp et avaient placé des piliers détruits tout au tour de celui-ci, ils s’en servaient comme banc. Ils n’avaient pas de bagages, mais cela ne suffisait pas pour affirmer que ce n’était pas des marchands. Cependant, détail intéressant, il y avait clairement un chef, ce qui était totalement inadmissible pour des marchands. Alors, il ne restait plus que deux hypothèses : soit ils étaient voyageurs, soit pillards. Elle hésita, s’approcher plus d’eux serait très risqué, car dans le cas où ils seraient tous des pillards, et qu’ils la remarqueraient, ils ne tarderaient pas à lui tirer un carreau bien placé, ce qui la tuerait sur le coup. Cependant s’ils ne la voyaient pas, cela permettrait de s’approcher et de distinguer plus nettement ces personnages… Alors, elle décida de s’élancer, elle grimpa sur une maison, mais glissa sur un mur au moment où elle se rattrapa au toit, elle réussit cependant à ne pas tomber, mais fit tomber une brique qui se brisa sur le sol dans un fracas épouvantable ! Aussitôt, un homme d’une grande taille, sursauta et se leva, faisant ainsi taire tout le groupe. Ils avaient tous entendu la brique. D’un signe de tête le chef ordonna d’aller voir ce qui se passait. Le grand homme empoigna son arbalète, et se dirigea vers le bruit. Dans la position où elle était, Ragne ne pouvait rien faire, elle était suspendue au haut du mur, et c’était déjà un miracle qu’elle ne soit pas tombée. Dans un ultime effort, elle essaya de se hisser en haut, peine perdue, elle parvint à se lever de quelques centimètres seulement. Alors, se confrontant à la réalité, elle attendit la mort. Ce qui se passa ensuite relève du miracle, l’homme trop concentré sur sa recherche pour faire attention où il posait les pieds, glissa dans la boue et se retrouva assis dans le liquide visqueux. Ses compagnons éclatèrent d’un rire moqueur, ce qui eût pour effet d’énerver l’homme qui, penaud, revint au feu. La glissade de celui-ci fit oublier à tout le monde l’accident de la brique. Seul le meneur ne ria pas, il regarda d’un air suspicieux l’endroit où Ragne pendait. Elle savait qu’il ne pouvait voir à travers les murs, pourtant elle sentit qu’il la voyait, ce qui était évidemment ridicule.
Après quelques acrobaties Ragne parvint à se hisser sur le toit. Alors, elle s’allongea épuisée. Au vu du comportement des pillards – car oui, elle était désormais sûre qu’ils étaient des pillards -, ils étaient sûrement poursuivis, aucun pillard n’aurait eût peur d’une brique qui tombe. Soudain, elle remarqua quelque chose : Là, sur le petit char, je ne me troupe pas, se sont mes échasses ! Ils avaient dû les voler quand elle était de l’autre côté du village. Il fallait coûte que coûte qu’elle les récupère ! Elle chercha un moyen de les reprendre sans se faire voir, ce qui serait difficile. Elle remarqua que les piliers étaient creux, assez pour laisser une fille s’infiltrer dedans ; un en particulier avait un trou derrière, de plus il était juste à côté du char. Non ! se dit-elle, il doit y avoir un autre moyen ! Elle savait d’elle même qu’il n’y avait pas d’autre moyen, c’était la seule solution. Alors, quand un pillard alla chercher une flasque, elle n’hésita pas, elle courut, puis sauta dans son élan, commença à ramper. Lorsque, cependant, le pillard sortit la flasque, elle redoubla de vitesse, si c’était ici sa seule chance, il fallait en profiter. Elle était cependant trop loin, et le pillard allait revenir. Dans un ultime effort elle se saisit d’une pierre et la lança de toutes ses forces sur l’homme. Celui-ci se la prit dans la tête, et furieux, se retourna et cria sur son compagnon ! Celui-ci nia d’être le coupable. En colère, la flasque à la main, l’autre asséna un coup sur l’épaule de l’innocent, ce qui fit éclater une bagarre. Ragne en profita et se saisit des échasses puis, le plus vite possible, s’éloigna de la dispute. Quelques pâtés de maisons plus loin, elle se redressa et courut à toutes jambes. Une fois le feu hors de vue, elle chaussa ses échasses et s’enfuit dans la nuit d’une rare noirceur.
Elle se réveilla au matin dans une grotte qu’elle avait aperçue pendant la nuit. Elle se leva nonchalamment, et but une longue gorgée de sa gourde de cuir. Elle reprit ses échasses et repartit, dans l’espoir de trouver cet endroit si convoité. Les jours se ressemblaient, souvent elle ne savait si c’était le matin ou le soir, elle était pourtant sûre d’une seule chose, c’est que tôt ou tard elle trouverait ce paradis, et que même si cela prenait plusieurs décennies, elle n’abandonnerait jamais. Souvent pendant ses journées, Ragne se disait qu’il aurait été meilleur qu’elle reste chez elle, avec sa famille, dans son village natal. Maintenant, elle ne pouvait y retourner, même si elle le voulait, car elle ne savait ni où elle était ni où elle allait.
Ce fût une journée de décembre que le miracle arriva. Elle était fatiguée et chercha un endroit où dormir. C’est alors qu’elle vit une lumière. Elle crut d’abord que c’était un village, mais après quelques pas, elle remarqua des pics, elle crut qu’il s’agissait de montagnes, mais les pics n’étaient pas assez hauts et trop réguliers. Et c’est à ce moment-ci qu’elle se rendit compte de ce dont il s’agissait : des arbres. Ragne n’en avait personnellement jamais vus, mais des textes témoignaient de leurs caractéristiques. La lumière, quant à elle, provenait d’une petite maison. Maintenant qu’elle se rendait compte de l’ampleur de sa découverte, elle était surexcitée ! Elle descendit de ses échasses et toqua à la porte. Le temps que l’on lui réponde, la fille tourna sur elle-même et mit ses sens en éveil : les feuilles des arbres étaient douces, et d’un vert foncé profond. Les troncs avaient des bosses, des trous et cela lui rappela les reliefs de ses chemins parcourus… Soudain, la porte s’ouvrit, une dame vêtue d’un tablier invita la jeune voyageuse à entrer. Elle lui servit une tasse de thé. Lorsque la fille lui raconta son périple, le dame resta bouche bée. La dame lui avoua qu’elle ne connaissait aucun autre village et ne savait même pas que d’autres personnes en dehors de la terre de Noz – c’est à dire où elle vivait -, existaient.
Ragne resta longtemps dans cette petite clairière. En compagnie de la vieille dame le temps passait vite. Et c’est un matin que la dame lui demanda si elle souhaitait partir au centre-ville. Curieuse, la fillette lui demanda ce qu’était le centre-ville, et, comme d’habitude, la dame lui répondit par un énigmatique : « Tu vas voir ». Le lendemain, la vieille femme lui dit de suivre les « mains », mais ne lui expliqua rien de plus. Le jour suivant, la fillette partit, avec son chapeau vert, son filet, sa lampe et ses éternelles échasses. Elle marcha trois jours vers le Nord, et vit les « mains ». Comme leur nom l’indique les « mains » sont des mains, elles sont jaunes et fluorescentes. De plus, elles volent. Ragne était déjà éblouie par cette nature riche mais celles-ci l’enchantaient. Elle les suivaient, au milieu des pins. Elle arriva au centre-ville en cinq jours, et elle fut radicalement déçue. Elle qui vénérait quasiment les arbres en raisons de leurs imprésences, ils étaient ici abattus et brûlés. Les animaux, qui n’existaient pas dans leur village étaient ici tués en masse, assassinés, seulement pour les caprices de quelques-uns. L’eau, si rare, était ici polluée, et toutes vies à l’intérieur de celles-ci étaient éteintes. Les seuls à profiter étaient les habitants égoïstes, meurtriers, jaloux et insatiables…
Ragne en eut assez, elle repartit sur-le-champ en entendant encore quelques-uns rire d’une pauvre bête tuée, ou d’une nouvelle perle achetée. Alors, elle se mit à pleurer, elle se souvint de ce rêve si étrange, un corbeau et un renard, elle se croyait spectatrice de ce rêve, mais elle se trompait, elle était actrice. Elle était le corbeau à qui on avait chanté des louanges, et ce fromage, c’était son temps, sa famille, sa joie, on lui l’avait pris, on l’avait dupée. Certes il y avait des arbres, des pousses, des animaux, et juste pour cela elle était la plus heureuse du monde. Mais cependant, elle n’avait rien à faire avec ces dupeurs et ces assassins, elle décida de rentrer chez elle avec ses échasses, même si elle devait affronter les brigands et les pillards. Cependant, elle ne pouvait pas partir comme cela, elle devait tant à la vieille dame. Elle écrivit un mot d’adieux à la dame, et la remercia. Puis, elle partit avec quelques pousses et deux rennes qu’elle avait apprivoisés. Ragne partit encore une fois traverser des montagnes et des lacs mais cette fois-ci avec un autre projet…
Adam